Dissonances Cognitives
Formes brèves
Dissonance cognitive, ses yeux étaient gonflés de larmes mais il riait à gorge déployée. Il hésitait entre l’absurde et l’ironie de la scène qui venait de se dérouler. Il tentait d’imaginer les autres solutions et n’en trouvait pas, faire un choix sans incidence sur les conséquences était profondément tragique. Au-delà de la douleur, de l’humiliation, c’est ce non-choix qui l’avait blessé, qu’il garderait en tête la prochaine fois que quelqu’un l’aborderait dans la rue. Il était habitué aux choses sensées dans tous les domaines, et se souviendrait de ce soir comme de la victoire indiscutable de l’injustice.
Il sortait du bar lorsqu’on lui avait demandé une clope. Il avait accepté de bon cœur, en avait sorti une d’un paquet quasi-plein, on lui en avait demandé plus, sois-sympa, fais-pas ta pute, t’as un paquet neuf. Il avait dit non en gardant sur lui le sourire timide qui le caractérisait, on l’avait frappé.
Dissonance cognitive, il voulait hurler mais le cri restait coincé quelque part dans la gorge, entre le ventre et la bouche ouverte. Il était plié en deux, cherchant désespérément de l’air, se demandant même s’il n’était pas en train de mourir. Il tomba à genoux sur le pavé trempé, les mains pressées sur son ventre. Les autres étaient encore dans le bar, personne n’avait assisté à ça et aussi triste que cela pouvait paraître, il s’en réjouissait. Il tenta de se redresser, comme si la dignité allait revenir en même temps que l’équilibre, mais ce fut un nouvel échec et il vomit.
Il sortait du bar lorsqu’on lui avait demandé une clope. Il avait refusé, on lui avait craché dessus. Il n’avait pas su répondre, affichant ainsi sa faiblesse. On lui avait décoché un violent coup de poing dans le ventre, comme ça, gratuitement, et il n’arrivait plus à respirer.
Alors il se dessina un joli sourire sur le visage, et retourna à l’intérieur.
Dissonance cognitive, son désir de passer inaperçu s'était heurté à l'effet boule de neige qui découle du premier coup. Il n'y avait plus de camp, plus de cibles, juste un amas de corps qui s'esquintaient au son des sirènes. Les attaques pleuvaient dans un brouillard de poussière, il ne savait pas si le type à sa gauche était avec ou contre lui alors, dans le doute, il frappait. L'autre à sa droite s'était dit la même chose et lui assénait coup de poing sur coup de poing. La masse était si bruyante que les chocs en devenaient silencieux et les acteurs se faisaient hommes-coton.
Il sortait du bar lorsqu'on lui avait demandé une clope. Il avait refusé, provoquant la colère de ses interlocuteurs qui l'avaient frappé. Les autres étaient alors sortis du bar, et des renforts étaient arivés dans les deux camps. Puis la police était intervenue, faisant disparaître les appartenances . Maintenant, tout le monde frappait à corps perdu sans avoir la moindre idée de qui est l'ennemi. Et, au centre de tout cela, sa clope.
Alors, il se dit qu'il n'était pas à deux dents près, et retourna au combat.
Dissonance cognitive, il ne voulait pas y passer mais faisait tout pour ne pas être vu. Le sang s'écoulait de sa blessure au ventre et sa vue se brouilla. La musique résonnait toujours à l'intérieur du bar et personne n'était sorti entre temps, il avait encore une chance. Il rampa le plus vite possible afin de se placer hors de portée des réverbères, ses bras ne semblaient plus vouloir lui obéir, mais il déploya toute son énergie pour arriver à destination. Voilà, ici il serait bien, au coin de cette rue, invisible, il éviterait au moins la honte. Il posa ses mains ensanglantées sur son ventre et se concentra sur sa respiration.
Il sortait du bar lorsqu'on lui avait demandé une clope. Il n'avait pas osé refuser et reçut en guise de remerciement un violent coup d'épaule, enfin c'est ainsi qu'il l'avait vécu. Parce qu'en baissant la tête, trente seconde plus tard,il vit la marque du couteau dans son abdomen et la tâche sur son T-shirt qui n'en finissait plus de grossir.
Alors, honteux de sa faiblesse, craignant d'attirer l'attention, il se cacha et attendit que ça passe.
Dissonance cognitive, le cerveau disait non mais les poings n’écoutaient pas. Alors il frappait, encore et encore, le nez lâcha le premier, un craquement sourd et une giclée de sang. Il ne prenait aucun plaisir à se voir agir, la vue du visage déformé, enfoncé sous les coups, l’écœurait mais il n’avait plus le contrôle. Il s’agissait d’un combat, au tout début, des attaques puis des esquives, mais cela avait tourné court, et mal. Rien d’autre qu’un massacre maintenant, les parties du visage cédaient les unes après les autres, et la nausée montait.
Il sortait du bar lorsqu’on lui avait demandé une clope. Il avait refusé, on lui avait craché dessus. A présent, il observait son œuvre, sa victime qui gisait à terre. Ce qui le hantait, c’est qu’il ne saurait jamais qui des deux était le plus faible.
Alors il cracha, et reprit son chemin.